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ARCHIVÉE - Le Fonds d'archives Glenn Gould

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Écrits

Gould, le communicateur

Discussion entre experts tenue à la Bibliothèque nationale du Canada,
le mercredi 25 mai 1988

Source

Traduit de l'anglais par la Bibliothèque nationale du Canada.

Animatrice :

Margaret Pacsu

Participants :

R. Murray Schafer

Vincent Tovell

John Roberts

M. PACSU

Mes distingués collègues m'ont permis de parler la première, ce dont je les remercie. J'ai quelques pensées à partager avec vous. Ces pensées me sont venues il y a quelques mois alors que l'on m'avait demandé de participer à la discussion de ce soir.

Quelqu'un a récemment mentionné qu'il y avait six ans que Glenn était mort. Six ans! Que le temps passe vite! Quiconque connaissait Glenn semble incrédule, comme moi-même, que tant de temps se soit écoulé. En effet, il semble que ce n'était qu'hier que je l'ai surpris dans le Studio L de la CBC (le réseau anglais de la SRC), assis ses pieds chaussés de bas sur la console de mixage, bloc-notes sur les genoux, chantant avec bonheur tout en dirigeant sa propre interprétation en soliste du premier mouvement de la symphonie pastorale de Beethoven. Et, quelque temps avant, je l'avais aperçu traverser la cafétéria de la CBC et j'avais entendu un technicien doté d'un fort accent écossais dire de vive voix, par-dessus la tête des gens assemblés : « Voici ce joueur de piano vieux jeu. » Fidèle à lui-même, Glenn lui a réglé son compte. Le technicien de radio incompétent Duncan Haig Guinness a été immortalisé sur le Silver Jubilee Album.

Glenn est donc mort depuis six ans. La nouvelle de sa mort avait évoqué, à cette époque, la même incrédulité parmi ses amis et de parfaits étrangers que l'annonce de la mort de John Kennedy et de Martin Luther King ou, pour quelques-uns, John Lennon. Une pierre avait été lancée dans l'étang, mais les ondes continuaient à se propager de plus en plus. Il y a, en fait, un groupe croissant d'amateurs qui se refusent à accepter que Glenn nous a quittés pour de bon. Apparemment, on me dit que John McGreevy a déclaré : « C'était en réalité une des fantaisies de Glenn : fermer boutique et s'en aller au loin. »

En apprenant la mort de Glenn, un de mes amis, pianiste de jazz bien connu et professeur à Toronto, Michael Coghlan, a eu l'inspiration d'écrire un récit d'un genre curieusement gouldien. Michael a écrit :

« Juillet. Il fait chaud. Conduisant en direction nord sur la 400 pour m'évader au chalet, j'ai été saisi d'une envie incontrôlable de boire une racinette Hires. Publicité subliminale mise à part, il est vraiment difficile d'expliquer ces choses. Ma femme, après avoir écouté mes plaintes et mes gémissements sur l'absence de distributrices de boissons gazeuses le long de la route, signala que nous serions bientôt arrivés à Orillia et que l'on pourrait y trouver une épicerie de dépannage où acheter des rafraîchissements, que je pourrais me désaltérer, et qu'elle pourrait enfin avoir la paix. Cela semblait une bonne idée.

« Nous réussîmes à trouver un commerce du genre détaillant commercial de produits laitiers répondant à nos besoins et, au moment où je pénétrais dans le stationnement, j'ai été légèrement surpris de voir une très grande Harley-Davidson cloutée et robuste, affreusement entachée d'huile, qui était garée juste devant la porte. Les années cinquante sont de retour! Gens disparus sans trace dans une petite ville ontarienne. Enfin, allons chercher la racinette et rendons-nous au lac!

« À l'intérieur, au comptoir, le propriétaire de la Harley payait ses achats. Il me sembla un peu étrange, ayant facilement dépassé la quarantaine. Il n'avait certainement pas l'air d'un très dur à cuire, ou costaud, ou encore intimidant, c'est-à-dire le physique classique des motards. Le cuir et les clous faisaient partie de l'accoutrement sur les bottes et les jeans, les cheveux lissés en arrière, du moins ceux qui étaient toujours là. Mais il ne portait pas de tatouages. Il se déplaçait de façon étrange, presque avec grâce, avec des mouvements mesurés et détendus. Il avait l'air, disons, familier. Il y a des moments où l'on rencontre une personne pendant quelques instants à peine et, même si aucune parole n'est prononcée, une impression demeure des années durant.

« C'était un de ces moments. Il partit. Je payai ma racinette, but quelques glorieuses gorgées et démarrai la voiture.

« Nous étions arrêtés aux feux de signalisation lorsque l'homme sur la Harley passe droit devant nous. 'Pourquoi tournes-tu à droite?' demanda Myra.

« 'Aucune raison.' Elle me lance ce regard que je connais maintenant si bien, qui signifie 'Voilà encore que ça recommence', le regard qui dit 'J'ai marié un fou'. Je bafouille quelque chose sur un raccourci. Je le suis, me tenant à une bonne distance et je l'observe empruntant l'allée et marchant rapidement en direction d'un petit bungalow au parterre complètement envahi par les mauvaises herbes. J'avance en direction du bungalow et je coupe le moteur.

« Il fait toujours chaud. La fenêtre est ouverte. Tout est tranquille à l'exception de la musique qui provient de la maison. De la musique! De la musique de piano! Un motard qui aime Bach! Nous attendons. Trente minutes s'écoulent. Bach, Grieg, Bizet, la Sonate de Berg, Wagner. Attendez une minute. Il joue Wagner au piano! Ma carrière de voyeur s'est amorcée et terminée en ce chaud jour de juillet. Mais ce que j'ai vu, par la fenêtre ouverte, m'a produit l'effet d'un choc suffisant pour marquer pour la vie la plupart des voyeurs. Même aujourd'hui, je m'interroge sur cette scène absolument irréelle. La vérité me frappa de plein fouet avec la force de l'assaut des Valkyries. Je me rendis compte qu'Ambrose Small lui avait montré la voie. Glenn Gould est toujours de ce monde, il vit à Orillia. »

Ce récit a été écrit par mon ami, le pianiste Michael Coghlan, quelques mois après la mort de Glenn, et il n'avait jamais rencontré Glenn. L'impact de cette personnalité curieuse, les excentricités, son génie touche un auditoire de plus en plus vaste. Mais surtout, je crois que quatre-vingt-dix pour cent de l'importance de Gould dans le monde est à titre de pianiste virtuose et nous devons tenter de ne pas trop expliquer sa personnalité. Cette tendance a apparemment atteint un sommet au cours des rencontres fortuites entre Glenn et un autre communicateur, Marshall McLuhan. Ils aimaient se réunir et parler se parler, et tous deux déclarèrent plus tard qu'ils ne pouvaient pas comprendre un mot de ce que l'autre disait, ce qui n'est pas surprenant.

Donc, tandis que nous sommes réunis ici ce soir pour évoquer et célébrer le souvenir de Glenn Gould, le communicateur, j'aimerais terminer par une citation de ma mère, qui est âgée de 84 ans. Je ne suis pas musicienne, mais elle si, étant diplômée de l'Académie Franz Liszt. Elle a consacré sa vie à la musique et enseigne toujours le piano à temps plein auprès de jeunes élèves.

« Je retrouve le génie de Glenn Gould surtout dans ses interprétations de Bach. Il est vrai que Wanda Landowska et Rosalyn Tureck sont passées avant lui et qu'elles l'ont sans doute inspiré. Mais il ne les a pas imitées. Ses interprétations semblaient plus intimes, certains des mouvements lents des partitas semblant presque de l'improvisation, comme si la musique sortait du bout de ses doigts sur le clavier. Elles nous laissaient parfois avec l'impression de faire une découverte, particulièrement pour ceux qui avaient étudié et connaissaient cette musique. Oui, oui, c'est ce que Bach a écrit! C'est ce qu'il voulait écouter et dire. Son esprit semblait être beaucoup mieux recréé par tous les joueurs de clavecin et d'instruments baroques sur leurs instruments imparfaits. Techniquement, Glenn Gould pouvait faire tout ce qu'il voulait, mais il ne s'est jamais servi de son don formidable pour donner des représentations de virtuose sans substance. Ses interprétations de Bach devinrent un concept. »

Enfin, puis-je vous rappeler que l'enregistrement de Glenn du premier prélude et de la fugue du Clavier bien tempéré navigue dans l'espace à bord de Voyager VIII. Le vaisseau devait quitter le système solaire l'automne dernier et atteindra Taurus dans quelque 500 000 ans. Qu'est-ce que Glenn n'aurait pas fait pour jouer un morceau en bis!

Merci beaucoup.

J'aimerais maintenant demander à John Roberts de diriger la discussion et il a, j'en suis convaincu, beaucoup à dire.

J. ROBERTS

Merci.

Tout d'abord, je devrais peut-être mentionner que Glenn était un grand admirateur de Rosalyn Tureck, mais quelque peu moins un admirateur de Wanda Landowska. La mention de Marshall McLuhan me rappelle quelque chose que Glenn me dit une fois. Je le connaissais très bien. Je le connaissais depuis très longtemps et nous parlions de Marshall, qui était un ami mutuel, et il dit : « Tu sais, je crois que Marshall est mieux branché sur le médium, tandis que je me sens plus rapproché du message. »

Je crois qu'il fait peu de doute que Glenn Gould était un communicateur extraordinaire et que ses communications se situaient à divers niveaux et à divers degrés intellectuels. Je peux encore le voir escaladant à toute vitesse les marches de notre maison à Toronto pour raconter des histoires à nos enfants avant qu'ils s'endorment, des histoires créées spontanément par son imagination. Notre seul problème consistait à arrêter la communication lorsqu'il était temps pour les enfants d'aller au lit et de fermer la lumière.

Je crois qu'il est vrai de dire que quelque chose est né du pouvoir que Glenn avait de communiquer par la musique et les médias électroniques, ce que j'appelle le phénomène Glenn Gould. Au cours de sa vie, Glenn a touché le cœur et l'esprit de littéralement des millions de personnes partout dans le monde. Toutefois, malgré sa mort il y a presque six ans, grâce aux médias électroniques, le pouvoir de communication de Glenn se poursuit et se propage de façon incroyable. Ses enregistrements, qui se vendaient très bien de son vivant, sont maintenant vendus en quantité encore plus grande, car une nouvelle génération qui ne l'a jamais entendu jouer en concert tombe également sous son charme. Au Japon, l'admiration des enregistrements de Gould s'est transformée en vénération. En effet, certains admirateurs japonais se sont rendus à Toronto dans le but exprès de s'asseoir sur sa tombe, un geste qui avait, selon toute apparence, une importance culturelle pour eux. En France, Glenn est devenu une idole. On me dit que la compagnie CBS Records ne peut acheminer assez rapidement ses enregistrements vers la France pour répondre à la demande du public. L'an dernier, l'exposition Glenn Gould au Centre culturel canadien de Paris a probablement constitué le projet culturel le mieux réussi par le Canada en France. Il y avait une file d'attente énorme à l'extérieur avant l'ouverture. Au Glenn Gould Video Festival à New York, il y avait une file d'attente qui s'étirait sur plusieurs pâtés de maison avant l'ouverture. En Allemagne, le même attachement intense envers Glenn est mis en évidence et je pourrais continuer ainsi pendant longtemps, citant un pays après l'autre. De plus, il existe maintenant une Société Glenn Gould à Amsterdam ayant une section à Tokyo.

De nombreux livres ont été écrits sur Glenn; certains contiennent ses écrits et un autre, publié le mois dernier, est composé d'une collection de discours présentés au symposium « Glenn Gould Pluriel » à Montréal en octobre dernier. Les livres publics ont été traduits dans d'autres langues et de nouvelles traductions sont actuellement en cours. On prévoit que la publication de la biographie de Glenn par Otto Friedrich aura lieu très bientôt et on attend avec une impatience grandissante de voir ce qu'elle contiendra. Le lancement de l'émission de télévision Le Cycle Glenn Gould diffusée en France, qui dure plus de 20 semaines, a fait l'objet d'une telle publicité que, en France, 1988 est devenue une année Glenn Gould spécialement attitrée. Et, bien entendu, au Canada, nous avons eu la nouvelle série Glenn Gould Plays adaptée pour la télévisionpar Vincent Tovell, qui est assis ici à ma gauche, et maintenant, nous avons, bien sûr, cette exposition à Ottawa.

Tous ces exemples soulignent le fait que Glenn n'était pas simplement un autre pianiste parmi les pianistes les plus remarquables que ce siècle ait produit. Grâce à la nouveauté et à l'originalité de ses concerts et à cause de ses idées, la grande pianiste Gina Bachauer a décrit Glenn comme un « phénomène qui ne se produit qu'une fois par siècle ».

Glenn était un communicateur qui faisait reculer les frontières connues de la musique et des médias électroniques. Il s'y prenait au moyen de documentaires pour la radio et de récitals pour la radio de la CBC, de même que d'autres émissions de la CBC comme la série de 1967 intitulée simplement The Art of Glenn Gould. Dans ses documentaires radio et, en particulier, dans trois documentaires connus sous le nom de Solitude Trilogy [Trilogie de la solitude], il élabora quelque chose qu'il appela « la radio en contrepoint », un procédé au cours duquel plusieurs personnages parlent simultanément, formant ainsi un contrepoint oral. Ce documentaire a choqué un grand nombre de personnes et a exigé de nouveaux efforts de concentration à ses auditeurs. Je crois qu'il est vrai de dire que Glenn, dans ses documentaires radio, suivait des structures qui étaient en réalité dérivées de la musique, à l'exception de quelques très rares cas. Les émissions de Glenn, ses documentaires en particulier, étaient extrêmement exigeants pour l'auditoire. Mais, en raison de son mandat qui consistait à s'adresser à des auditoires minoritaires, la CBC les réalisait quand même. Glenn réalisait certainement, à l'instar des autres réalisateurs de documentaires, dont Murray Schafer à ma droite, que les documentaires ne s'adressaient pas seulement au public du moment, mais aussi aux publics de l'avenir.

En outre, on avait offert à Glenn un outil de communication idéal incarné par la télévision de la CBC. Par exemple, en 1968, lorsqu'il présenta The Subject is Beethoven à la télévision, la réaction de l'auditoire a été extrêmement positive, à un point tel que l'émission a dû être présentée en reprise peu de temps après. La réaction de l'auditoire était vraiment extraordinaire. De nombreuses personnes écrivirent pour dire qu'elles n'avaient jamais fait l'expérience auparavant de la prétendue musique de concert, de la musique classique ou de n'importe quel autre qualificatif dont on voulait bien l'affubler. Elles n'en avaient jamais fait l'expérience à l'école; elles n'avaient pas connu la musique à la maison et, par bonheur, elles en avaient fait la découverte à la télévision. Ces gens poursuivaient en disant que, par un moyen ou un autre, comme se rendre à leur détaillant de musique local pour constater ce que l'on offrait, ils commençaient une toute nouvelle exploration d'un monde nouveau dont ils ne connaissaient pas l'existence. Et je me rappelle une lettre qui disait : « M. Gould, vous avez changé ma vie. » Et il était extrêmement touché.

Comme nous le savons, Glenn était capable de communiquer avec des millions de personnes par le biais de ses enregistrements. En 1955, il signa un contrat avec Columbia, aujourd'hui la compagnie CBS Records [plus tard Sony Classical], à New York, et enregistra les Variations Goldberg de Bach qui, jusqu'à ce jour, étaient considérées comme des morceaux passablement recherchés. Or, on en vendit plus d'un million d'exemplaires dans le monde. En tout, il réalisa plus de 80 enregistrements pour CBS Records, dont plusieurs connurent leurs débuts au cours de récitals de la radio de la CBC.

Au fil des ans, Glenn reçut une quantité énorme de lettres de ses admirateurs de partout dans le monde et, pour d'innombrables personnes, il était une idole, fait dont il avait d'une certaine façon horreur. Il croyait que les gens devraient puiser dans leurs propres ressources intérieures et ne pas vivre une vie par personne interposée, qui se définissait par le talent des autres.

Glenn a été en mesure d'affiner ses talents de communicateur par le biais de son association avec deux organisations : la CBC et CBS Records. La CBC se rendit compte que Glenn était beaucoup plus qu'un pianiste de talent absolument incroyable. Je crois que c'était en 1965 ou en 1966, lorsque j'étais responsable de la section musicale pour la CBC, que je lui fournis un bureau dans l'édifice de CBC Radio sur la rue Jarvis à Toronto. Ce geste m'attira beaucoup de critiques parce que Glenn n'était pas membre du personnel. L'aspect important d'avoir un bureau sur les lieux était que Glenn pouvait maintenant parler aux réalisateurs et aux techniciens de la CBC. Je croyais que Glenn pourrait acquérir des connaissances techniques essentielles auprès du personnel technique et j'espérais que certaines de ses idées enthousiastes et brillantes sur la musique profiteraient à mes réalisateurs et que, de même, leurs idées stimuleraient Glenn. Bien entendu, ces échanges eurent pour résultat une série complète de documentaires radio, de récitals et d'autres émissions qui constituent aujourd'hui une partie importante de l'héritage laissé par Gould. Il est clair que, chez CBS Records, étant donné que Glenn était présent aux sessions de montage et de mixage, il était capable de déterminer le résultat final de ses enregistrements. En d'autres mots, il était le véritable artiste-créateur.

Il est nécessaire de comprendre que le concept qu'avait Glenn des communications à la radio, à la télévision, de ses enregistrements et de ses écrits se fondaient sur sa vision extraordinaire de l'avenir. Glenn se rendait bien compte qu'avec l'avènement du progrès technologique le monde était en train de connaître le plus grand changement culturel à se produire, et il voulait être certain que la musique aurait sa place, quel que soit l'avenir qui nous soit réservé. Il était sans aucun doute convaincu que l'avenir serait très différent du passé et du présent. Il voyait la musique comme un art hybride, quelque chose qui partait du compositeur et qui se transmettait par le fil créateur qui allait du compositeur à l'interprète à un studio d'enregistrement ou de radio et au réalisateur de télévision et aussi aux techniciens, puis ensuite à l'auditoire.

J'aimerais également faire remarquer que le génie de Glenn comme communicateur émergea de son rôle d'un genre de cocréateur avec le compositeur. Je crois que c'est ce qu'Aaron Copland voulait dire lorsqu'il m'a dit : « Ce qui était déconcertant, lorsque Glenn jouait Bach, était le fait que l'on aurait dit que c'était Bach lui-même qui jouait. »

En effet, grâce à sa mémoire photographique, Glenn pouvait toujours décortiquer les partitions musicales qu'il lisait dans ses moindres détails. Il comprenait non seulement la structure, mais les sous-structures, jusqu'aux plus minuscules relations d'intervalles, avec une perspicacité qui suscitait l'émerveillement. Dans ses documentaires radio et ses autres émissions, il était un créateur. En effet, Glenn considérait que ces documentaires radio, qui traitaient principalement de la langue parlée, étaient « des composés » et qu'ils étaient une forme de musique. Dans la mesure où il pouvait contrôler la situation, on pourrait faire le même commentaire pour les émissions de télévision. Sa vision de l'avenir de la musique et celle de la technologie électronique deviendraient de plus en plus interreliées.

Pourtant, à l'instar d'un autre visionnaire canadien, celui que j'ai déjà mentionné, Marshall McLuhan, sa vision ne se fondait pas sur la recherche, mais plutôt sur une intuition intérieure. Cela signifie, bien sûr, qu'il y avait des lacunes ou des manques dans ce qu'il avait à dire. Je pense qu'il savait cela, mais il était tellement pressé de présenter une certaine vision de l'avenir qu'il ne se laisserait pas ralentir par des préoccupations sur certaines lacunes dans sa pensée. L'émission radiophonique de la CBC la plus controversée de Glenn a été Dialogues on the Prospects of Recording, au cours de laquelle il exprimait la pensée selon laquelle une salle de concert en tant qu'institution s'éteindrait d'ici cent ans et que l'avenir de la musique résidait dans sa transformation en art hybride à l'intérieur des médias électroniques. En sa qualité de communicateur, Glenn savait très bien qu'afin d'attirer l'attention on devait parfois exagérer dans un sens, et ses émissions ne faisaient certainement pas exception à cette règle.

Il fallait comprendre que Glenn Gould considérait que la musique et tous les arts avaient une valeur thérapeutique et qu'ils constituaient en même temps une force persuasive. Et ces faits sont des thèmes principaux dans toutes ses communications. Glenn croyait qu'au moyen des médias électroniques il pouvait communiquer intimement avec chaque personne plutôt que de s'adresser au grand public. Glenn aimait beaucoup les gens, les gens en tant qu'individus, et il était une personne extrêmement compatissante et aimante.

Pour lui, qui cherchait à regrouper ses ressources intérieures, la solitude était essentielle. En effet, pour trouver la force intérieure, il était essentiel de confronter la solitude. Pour lui, l'idée du Nord, dont il parlait si souvent et dont il parla dans un documentaire, correspondait à la solitude, non pas seulement la solitude de la vaste étendue géographique de ce merveilleux pays, mais une certaine solitude de l'esprit. En d'autres mots, la solitude était un des aspects de ces communications et, peut-être, un aspect auquel nous retournerons plus tard ce soir.

En terminant, on peut, je crois, ajouter un autre aspect, celui selon lequel Glenn s'est toujours considéré comme un Canadien. Cela ne signifie pas qu'il n'avait pas une perception internationale des choses, mais je crois qu'il se rendait très bien compte qu'il était issu de ce pays et qu'il était capable de développer ses talents et de se diriger vers de nouvelles orientations grâce aux installations de la CBC, organisme typiquement canadien. N'oublions pas qu'en raison de l'atmosphère qui prédominait alors à la CBC, c'est-à-dire une atmosphère qui favorisait l'expérimentation, qui permettait de vraiment essayer de réaliser des émissions osées et innovatrices, Glenn était au bon endroit, au bon moment. En fait, il a souvent dit que le « Canada est un endroit très spécial où il existe des valeurs spirituelles qui me sont extrêmement importantes et, sans elles, je ne pourrais être qui je suis ».

Merci beaucoup.

M. PACSU

Merci beaucoup John. À vous Vincent.

V. TOVELL

Merci Margaret et merci John. Cette rencontre est pour moi une occasion de remercier John Roberts de m'avoir présenté Glenn vers la fin des années cinquante. Cette rencontre a été le début d'une amitié personnelle qui est demeurée dans mon esprit comme l'une des plus importantes de ma vie ainsi que le point de départ d'une vie professionnelle qui a toujours été fascinante et pleine de défis.

Le sujet d'aujourd'hui est Glenn Gould, le communicateur. La question est la suivante : Qu'est-ce que Glenn communiquait?

Je reviens tout juste d'Amsterdam où a eu lieu une manifestation Glenn Gould. Bien entendu, Glenn n'était pas là physiquement, mais nous le sentions près de nous. C'était un symposium de plus de deux jours au cours duquel son quatuor a été joué deux fois, une fois au cours d'un concert public et une fois au cours du symposium. Environ deux cents personnes y ont assisté, la plupart provenant d'Europe du Nord. Il avait été organisé par la Société Glenn Gould aux Pays-Bas, société internationale dont le siège social est aux Pays-Bas et qui a, m'a-t-on dit, quelque trois cents membres. Un des membres japonais était avec nous, tout comme l'était un jeune homme au début de la vingtaine, venu du nord de l'Alberta, et qui avait rassemblé les fonds nécessaires pour venir à Amsterdam pour se renseigner sur Glenn Gould.

Qu'est-ce donc qui attire les gens vers Glenn et vers des rencontres où l'on parle de Glenn? Il y a évidemment le mystère qui enveloppe l'homme. Rien n'attire les questions autant qu'une personnalité un peu renfermée. Garbo a appris cette notion il y a des années pour susciter les questions que les gens continuent à poser, même s'il n'y a pas de réponses.

Évidemment, il y a la musique de Glenn. Il y a aussi les qualités de la personnalité de Glenn, que je connais pour en avoir fait moi-même l'expérience et qui demeurent présentes à mon esprit. Il était une des personnes les plus frappantes que j'aie jamais rencontrées. Mais, au cours des quatre ou cinq dernières années, j'ai passé beaucoup de temps avec les enregistrements audio et vidéo, ses publications, ses enregistrements ainsi qu'une bonne partie des œuvres de la collection de la Bibliothèque nationale du Canada. D'une certaine façon, j'ai l'impression que Glenn est toujours bien vivant.

C'est curieux. Lorsqu'on travaille de longues heures, jour et nuit, pour faire le montage des œuvres vidéo de Glenn avec des personnes qui le connaissaient et qui travaillaient avec lui, et qui ont donc appris à l'aimer comme bon nombre de ses collègues du monde technique parce qu'il était un excellent technicien et un merveilleux compagnon de travail, il est surprenant de voir la façon dont il transcende l'écran. Il est avec vous pendant que vous travaillez. Très peu de personnes possèdent cette qualité.

Un des mystères de ce que nous appelons le « génie » est qu'il peut se produire trop tôt ou trop tard ou qu'il puisse arriver juste à point. À mon avis, Glenn est arrivé juste au bon moment. Il était l'homme par excellence pour ce siècle. À bien des niveaux, sa carrière complexe et sa vie complexe possèdent la qualité d'une fugue dotée de sujets compliqués et enchevêtrés, et dont on ne peut séparer les parties. Et une fugue est, m'a-t-on dit, car je ne suis pas musicien, un processus, un souci du processus, quelque chose qui est capable d'évoluer et qui ne possède pas de fin précise, ni arbitraire. Elle est donc infinie dans sa vitalité.

Je crois qu'il est important de distinguer entre la réputation de « philosophe » profond que Glenn a acquise, ce qui implique en soi une discipline méthodique en ce qui a trait à l'organisation des idées, et ses qualités personnelles qui ont une puissance significative. Je crois qu'il est injuste de le considérer comme un philosophe dans le sens strict, malgré le fait qu'il lisait beaucoup de philosophie, particulièrement vers la fin de sa vie. Je crois que nous pouvons parler de ses attitudes et de ses qualités particulières. Et lorsque je m'interroge – comme je l'ai beaucoup fait dernièrement sur cette question : qu'est-ce que Glenn communiquait? --, je peux identifier trois attitudes, trois qualités.

La première est l'engagement. L'engagement envers quoi? Premièrement : s'accomplir lui-même, c'est-à-dire devenir ce qu'il était destiné à devenir. Robert Fulford, qui habitait la résidence voisine, a grandi avec Glenn. Il a étudié avec lui et il le connaissait dans sa jeunesse. Il a dit que Glenn pressentait et acceptait très jeune qu'il était destiné à fréquenter les grands de ce monde. Il ne considérait pas ce fait comme quelque chose dont il pouvait se vanter, simplement quelque chose qui était arrivé. Il devait maintenant se montrer à la hauteur de la tâche. Loin d'être de la vanité, il s'agissait d'un sentiment où se mêlait un sens du devoir et des responsabilités. Ce n'est pas pour rien que Glenn s'est défini comme le dernier des puritains.

L'engagement donc avant tout envers la musique pour s'accomplir au moyen de la musique et pour s'interroger sur le mystère ultime de la musique : Qu'est-ce que la musique? Pourquoi existe-t-elle? Et qu'advient-il de la musique à notre époque? Un engagement envers la musique est quelque chose d'excitant et de totalement imprévisible, termes utilisés par certains pour décrire l'univers.

Glenn était aussi fermement engagé à s'interroger sur la moralité à faire une quête approfondie pour déterminer la voie à suivre, ce qui a semé une confusion considérable parmi ses amis et les gens dans les médias. Ses notions du mal, de la violence, de la compétition, du cirque des spectacles en public – cette longue liste est bien connue – sont considérées comme l'une de ses excentricités, mais elles ne sont pas du tout excentriques pour quelqu'un qui est en quête d'un engagement de vie profond et d'une notion de ce qui constitue un geste moral.

Il était aussi engagé à comprendre et à utiliser de façon appropriée les nouvelles technologies du souvenir et de la diffusion. Il y a ici quelque chose qui relie Glenn à une tradition très longue et très importante dans la vie politique, économique, artistique et scientifique canadienne. Et Glenn était intensément conscient de ces traditions canadiennes.

Je suggérais une deuxième qualité, soit son pouvoir intense de concentration. À Amsterdam, Bruno Monsaingeon a joué une vidéo des Variations Goldberg sur deux grands écrans, pour environ 150 personnes, soit la dernière vidéo que Glenn a réalisée. Ce n'était pas l'endroit parfait pour l'écouter ou le regarder, mais personne n'a bougé pendant quelque 48 minutes. La concentration de Glenn devient notre concentration, tandis que nous écoutons et que nous regardons. Pour certains, ces représentations visuelles dans la salle de concert ou à la télévision était une distraction. Pourtant, ils ne semblaient pas avoir d'effets néfastes sur sa réputation de pianiste ou de musicien. Glenn disait fréquemment qu'il aurait souhaité ne pas fredonner et il essayait en vain de s'en empêcher, mais cela faisait partie de sa nature et l'on ne pouvait pas la changer.

Mais quelle concentration lors de ses représentations! Les techniciens qui ont travaillé avec Glenn parleront de sa capacité de s'asseoir au piano au cours d'une séance d'enregistrement et de refaire seulement ces trois mesures, après avoir entretenu auparavant une conversation agréable. La lumière est allumée! Allons-y! Terminé! Et il pouvait le faire de trois façons! Et, chaque fois, lorsqu'on arrivait au montage, il se rappellerait exactement des trois différentes façons dont il avait joué ces mesures additionnelles et dirait : « Utilisons tout d'abord celle-ci. » Il l'insérait. Elle allait à merveille. Puis il disait qu'il voulait essayer une des autres. Elle fonctionnait aussi parfaitement. Ce sens du rythme, son sens exact des possibilités du montage, était une merveille et un véritable plaisir pour ceux qui travaillaient avec lui. Il apprit beaucoup d'eux. Bien sûr, il leur enseigna beaucoup aussi.

Le don de l'immersion immédiate a été décrit, dans une utilisation un peu inusitée de ce mot, comme une forme d'extase. Mais sa qualité d'extasié n'avait rien à voir avec l'hystérie ou l'euphorie. Elle était attribuable à sa concentration totale.

On discerne aussi ces pouvoirs dans son utilisation géniale de la stéréophonie, de voix humaines combinées à des instruments musicaux, dans les documentaires radio dont John Roberts a parlé. Au fil des ans, ces documentaires seront mieux connus. Parce qu'ils sont en anglais, ils n'ont pas été distribués à grande échelle.

Nous reconnaissons tous notre capacité de conduire dans une rue achalandée durant les heures de pointe, gérant tous les renseignements visuels. Nous réussissons à maintenir le cap, en arrêtant lorsque cela est nécessaire, en démarrant au besoin, et en tournant au moment approprié. C'est exactement ce que Glenn a réalisé avec quatre ou cinq voix dans ses documentaires « Solitude ». Il a convié nos aptitudes d'écoute à un défi, comme la conduite automobile met à l'épreuve nos capacités d'observation. Si l'on écoute attentivement dans le contexte approprié et avec les outils requis, tout devient clair et on s'émerveille de sa propre capacité de concentration, comme si on écoutait une fugue. Les variations s'effectuent constamment et avec astuce. On se retrouve captivé par les pensées entremêlées et la musique des voix humaines des sopranos, des contraltos, des ténors et des basses. Il s'agit essentiellement des « opéras » de Glenn.

Sa troisième qualité particulière est la plus difficile à définir; je l'appellerais courage. L'engagement, la concentration et le courage. Glenn a eu le courage de réfléchir profondément sur le monde moderne, sur tous les aspects de la vie. Sa bibliothèque en témoigne. Je crois que sa musique l'exprime. Il a fallu du courage pour se détacher des distractions faciles de la vie afin d'accomplir ce qu'il croyait qu'il avait à faire et qu'il pouvait faire. Il a choisi d'être détaché, distant, de résister à ce qui vient facilement et de s'attaquer à ce que l'on doit tôt ou tard confronter, pour devenir ce qu'il était destiné à devenir.

On peut dire que la musique du vingtième siècle n'a pas d'establishment dictant ce que nous devrions rechercher dans la musique ou dans un musicien. Nous n'aurions certainement pas pu prévoir l'arrivée de Glenn Gould. Il était à la fois radical et conservateur et il est important de prendre conscience de ce fait si nous voulons comprendre son tempérament et sa contribution. Il était aussi typiquement Canadien. On peut identifier plusieurs liens avec d'autres artistes et écrivains canadiens dans sa pensée et dans sa façon de voir le monde. Comme McLuhan, Northrop Frye et d'autres, il a choisi de vivre non dans le tourbillon, mais en marge de ce tourbillon, et il a observé la vie dans des perspectives vastes d'espace et de temps, non depuis l'intérieur du tourbillon, mais comme il convenait de le faire, à distance.

Vous vous rappellerez peut-être qu'il y a quelque part, dans l'espace, un vaisseau spatial Voyageur. Il contient un disque. Aujourd'hui, il doit être je ne sais à combien de milliards de milles de distance et il voyagera pendant encore des milliards d'années. Ce disque comprend un des enregistrements de Glenn, un prélude et une fugue de Bach, et, dans sa couverture d'aluminium, ces sons ne se désintégreront pas dans un laps de temps imaginable. Sur ce disque se trouvent certaines paroles. Elles ne sont pas de Glenn, mais je crois qu'il est utile de les répéter ici, ce soir. Elles disent : Ceci est un cadeau d'un monde lointain, un témoignage de nos sons, de notre science, de nos images, de notre musique, de nos pensées et de nos sentiments. Nous essayons de survivre à notre époque de façon à pouvoir vivre dans la vôtre. Nous espérons un jour nous joindre à une communauté de civilisations galactiques, une fois que nous aurons résolu les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Ce disque représente nos espoirs, notre détermination et notre bonne volonté dans un univers vaste et merveilleux. Cela est bien, je crois, la voix de Glenn.

M. PACSU

Merci beaucoup Vincent. Murray, aimeriez-vous ajouter un dernier mot?

M. SCHAFER

Bien, j'aimerais ramener la discussion sur une scène plus près de nous.

Je ne peux pas parler à titre personnel de Glenn Gould. Je l'ai rencontré à deux reprises seulement, et ces deux rencontres ont été brèves. La première était lorsque nous étions tous deux adolescents, dans la cafétéria du vieux Royal Conservatory, sur la rue College à Toronto. Nous avons alors discuté des mérites respectifs de Franz Kafka et de Thomas Mann, Gould se rangeant du côté de Kafka, moi défendant Mann. (Curieusement, ces prédispositions ont été rapidement inversées, car Gould en vint bientôt à connaître et à admirer Doctor Faustus de Mann, avec son riche thème musical, et je me familiarisai avec les chefs-d'œuvre de Kafka, The Trial et The Castle.) Mais, je ne me rappelle pas de notre discussion autre que la perplexité des autres étudiants en musique, la littérature n'étant pas un sujet de discussion habituel.

La deuxième rencontre eut lieu quelques années plus tard après mon retour d'Europe. Gould cherchait à cette époque un machiniste itinérant pour se rendre à l'avance sur les lieux du concert suivant de sa tournée pour minimiser les surprises qui pouvaient l'attendre à son arrivée. Nous étions alors tous deux au début de la vingtaine; il était maintenant célèbre, j'étais toujours un compositeur indécis. Il refusa de me serrer la main. Il vivait dans un élégant penthouse désordonné sur l'avenue St. Clair près du chemin Avenue. Conformément à nos célébrités disproportionnées, c'est lui qui parla le plus, contredisant tout ce que je disais, ou du moins c'est la façon dont je me rappelle la rencontre. J'avais l'impression qu'il adorait s'entendre parler, qu'il aimait la sensation des mots qui sortaient de sa bouche et qui allaient l'embrasser. C'était presque comme si je n'étais pas un antagoniste digne de son intelligence volubile, une situation qui semblait souvent se répéter chez lui comme en témoigne son habitude fréquente de dialoguer avec lui-même ou de rédiger un script de son propre dialogue d'accompagnement. De toute façon, je ne réussis pas à décrocher le poste.

Nous ne nous sommes jamais rencontrés de nouveau. Je ne l'ai jamais entendu jouer en concert et, étant donné que, lorsque je possédais encore un tourne-disque, j'avais très peu de ses enregistrements. Je ne me sens pas vraiment qualifié pour parler de ses talents de pianiste. Mais, vu que son génie dans ce domaine n'est pas mis en doute, cela ne semble pas nécessaire. Récemment (en fait, après cette invitation), j'ai lu The Glenn Gould Reader avec intérêt et admiration. Permettez-moi de faire quelques observations fondées sur cette expérience.

 Tout d'abord, à titre de compositeur, je dois admettre que j'apprécie le grand dévouement de Gould envers les textes musicaux et à leur étude. Ses essais sur divers compositeurs (qui constituent précisément la moitié de l'ouvrage) sont originaux, mais très approfondis, et les analyses des œuvres sont exemplaires. Le fait que bon nombre de ces articles aient été des notes d'accompagnement pour des enregistrements ou des articles à publier dans des magazines populaires explique peut-être l'enthousiasme débordant, selon l'habitude allemande, d'utiliser des hyperboles : Richard Strauss est le « le plus grand personnage musical de ce siècle »; Schoenberg est « l 'un des plus grands compositeurs qui aient jamais vécu »; la sonate pour piano d'Alban Berg est « l'un des opus 1 les plus révélateurs jamais écrits »; et la troisième sonate pour piano d'Ernst Krenek est « l'une des plus grandes réalisations du répertoire contemporain ». À l'instar de Schumann ou d'E.T.A. Hoffmann, Gould était déterminé à restructurer l'histoire musicale au moyen de sa plume, déifiant des personnages peu populaires et détrônant des géants musicaux, dans son cas Mozart et Beethoven. Il avait aussi la capacité inhabituelle de consacrer du temps et des énergies considérables à l'analyse d'œuvres d'un mérite un peu plus contesté (Bizet, Grieg, Hindemith) en essayant d'identifier les déficiences afin de tenter de les réparer dans ses enregistrements de ces pièces. Il était toujours à la recherche de ce qu'Ezra Pound appelait le « rythme absolu » d'une œuvre d'art. Parfois son intelligence minutieuse la révélait, parfois elle l'obscurcissait.

Le dévouement de Gould envers le compositeur était, d'une manière curieuse, contradictoire à son insistance sur le fait que l'avenir de la musique résidait dans la technologie électroacoustique, car cette même technologie menace l'existence du compositeur. Sans aucun doute, Gould a dû se rendre compte que l'autorité de la partition écrite perd du terrain à la faveur de l'art d'interprétation, au même titre que le romancier et le poète cèdent la place aux vedettes de cinéma. On abandonne de plus en plus les auteurs de compositions écrites sur papier dans cette ère du deuxième analphabétisme. Aujourd'hui, il existe même des cas où les interprètes exigent une part des droits du compositeur, déclarant que leurs interprétations particulières les rendent coauteurs. Toujours aguerri quant aux derniers changements technologiques, Gould a dû sentir cette transition dans l'évaluation des œuvres. Il demeura toujours humble devant ses textes imprimés, tout comme l'autre Torontois enthousiaste des médias, Marshall McLuhan, continuait d'écrire des livres prédisant leur disparition prochaine.

McLuhan a qualifié l'ère dans laquelle nous vivons d'« auditive-tactile ». Une telle ère est caractérisée par des collectivités humaines plus densément peuplées et un remplacement des communications visuelles par les communications auditives. Le thème du toucher et de l'écoute est également repris par B.W. Powe dans son livre The Solitary Outlaw, qui regroupe des chapitres sur Gould, McLuhan, Trudeau, Wyndham Lewis et Elias Canetti. Selon Powe, la vie moderne a été « musicalisée » par des pulsations et des vibrations dictées par les architectes sociaux et politiques. Ces personnages qu'il a choisi d'étudier ont décidé d'emprunter ces ondes acoustiques en tant que héros et boucs émissaires.

« Auditive-tactile. » Dans les basses fréquences, le son et le toucher sont physiquement associés, et une ère qui insiste sur les infrasons comme la nôtre fusionne les sensations d'une manière que l'époque de Mozart, avec son ambiance sonore de fréquences moyennes et hautes, ne le pouvait. Dans la musique populaire, l'écoute est souvent synonyme de toucher. Et je suis certain que dans les endroits où la concentration de personnes est plus intense, la musique sert de mucilage social. Il s'agit là de la rétribalisation dont parlait McLuhan, car les peuples aborigènes partout dans le monde ont joué la musique dans des enceintes restreintes, où les corps des joueurs de tambour et des danseurs entrent souvent en contact.

Ici nous trouvons un paradoxe dans le comportement de Gould, car son aversion bien connue des contacts physiques avec d'autres semble incompatible avec sa musicalité intense. Je ne connais pas de cas de blessures physiques résultant d'une poignée de main; pourtant, Gould avait même fait imprimer des cartes pour se protéger de ce danger peu probable. Bien qu'il ait désiré ardemment être le centre d'attraction sociale, souriant, gesticulant, parlant incessamment, il prenait des précautions extraordinaires pour se vêtir et se prémunir contre toutes les formes de pollution humaine. Dans une entrevue avec Arthur Rubenstein, il insiste sur le fait que les représentations ne lui procurèrent jamais aucun plaisir. Rubenstein : « Mais, n'y a-t-il jamais eu un moment où vous avez senti des émotions spéciales qui provenaient de l'auditoire? ». Gould : « Il n'y a jamais vraiment eu de tels moments. » Et donc, il se cachait derrière sa vitre prophylactique du studio d'enregistrement et de télévision, où il pouvait présenter sa personnalité gagnante, à l'abri de la contamination bactérienne ou critique, devenant comme le politicien moderne, une image sur un écran ou dans un véhicule muni de glaces antiballes.

Elias Canetti, dans Crowds and Power, insiste sur le fait que la peur d'être touché est la garantie de l'individualité d'une personne et comment l'inverse, soit la capitulation à la pression exercée par d'autres corps, particulièrement dans des foules denses, enlève la volonté d'indépendance, la remplaçant par la volonté de la foule. L'homme qui a refusé de toucher les autres a réservé son toucher à des objets : son piano, sa Lincoln Continental, en sentant leurs vibrations en réponse à la pression de ses doigts. « On écoute avec les mains » est une jolie expression de Pierre Schaeffer qui me revient aujourd'hui à l'esprit. On écoute la forme de la musique avec ses doigts. Chaque objet, tourné et touché, répond par des vibrations, mais elles sont seulement sympathiques et l'interprète se rend enfin compte que ce qu'il possède n'est rien d'autre que l'art de la ventriloquie, ce truc qui permet de donner un semblant de vie à un mannequin. Gould cajolait son piano et l'amenait au point d'explosion en le charmant comme s'il s'agissait d'une femme, d'une maîtresse que l'on aime exciter.

Je n'ai pas la moindre idée de ce que Gould pensait du sexe. Certainement, le Reader n'est pas terni par aucune allusion à l'érotisme, à l'exception d'une mention voilée et originale remontant au début de sa vie. Baudelaire a écrit : « Foutre est le désir de pénétrer une autre personne et l'artiste ne sort jamais de lui-même. » Le parallèle entre Gould et Baudelaire n'est peut-être pas aussi improbable que vous le croyez. Tous deux vivaient dans le centre de grandes villes qu'ils adoraient par-dessus tout. Tous deux étaient terrifiés d'être contaminés, cherchaient à se protéger du contact avec d'autres, mais craignaient néanmoins la perte de contact humain, même pendant quelques heures, dans la mesure où il pouvait se faire à une certaine distance. On nous a même dit qu'il insistait pour ne pas se dévêtir lorsqu'il faisait l'amour. Gould aussi aimait flâner, prenant un plaisir immense à conduire dans Toronto et ses environs, particulièrement la nuit. Et ses amitiés téléphoniques d'après minuit étaient bien connues et constituaient de toute évidence un substitut pour remplacer des relations plus physiques. Gould et Baudelaire avaient tous deux des mères très volontaires avec lesquelles ils entretenaient des rapports ambigus. Ils étaient aussi, chacun à leur façon, des fétichistes, et, bien que les objets qu'ils adoraient aient été différents, je ne peux m'empêcher de penser que c'est le monde froid, stérile et métallique de Baudelaire, à l'abri des bactéries, même des spermatozoïdes, qui a donné lieu à une vie brillante, lumineuse, mais fondamentalement infertile, qui correspondait à certains niveaux aussi à la vie de Gould. Aucun de ces deux artistes n'a eu de progéniture; aucun n'a eu d'élèves ni même, dans le sens strict du mot, de disciples.

Les gens dans la vie d'une personne : un index de noms. L'index du The Glenn Gould Reader contient des centaines de noms du monde de la musique, des spectacles et des lettres, mais aucun nom de parent, d'enseignant ou d'amis du collège. Gould vivait en isolement, coupé de ses voisins par six pouces de placoplâtre. La majorité du temps, cet état lui convenait, mais parfois il cherchait le soulagement dans la campagne canadienne. Il diffère dans cet aspect de Baudelaire, qui ne quittait jamais Paris et qui détestait l'infatigable intransigeance de la nature.

Ce sont les étés passés par Gould au chalet familial dans le sud de l'Ontario qui ont donné naissance à son appréciation de la nature canadienne. Il devint plus tard particulièrement attaché au littoral du lac Supérieur. « Je me rends à un motel de l'endroit, a-t-il dit à Arthur Rubenstein, et j'écris pendant plusieurs jours et si je pouvais me le permettre, ce serait vraiment le type d'endroit dans lequel j'aimerais passer le restant de mes jours. » La dernière partie de cet énoncé n'est pas du tout réaliste. Comme la plupart des Canadiens, Gould considérait le Nord comme un mythe mystérieux : vaste, pur et libre de tentations. Il n'a jamais assez connu le Nord pour comprendre toute sa brutalité, la façon dont il peut détruire un tempérament sensible par la dureté de sa vie sociale et physique. Pas plus qu'il ne fulminait contre la façon dont on pillait ses ressources (l'apparition de vastes couloirs de forêt dénudée, où se dessinaient les lignes enchevêtrées des sentiers empruntés par ceux qui s'affairaient à la déforestation et dont les Canadiens ont été rendus témoins par la transmission d'images aériennes) ou la façon dont les Autochtones ont été privés de leurs droits et moralement réduits à néant par les envahisseurs blancs. Gould n'a jamais été ce que les Français appellent un artiste engagé. Il n'a pas pris la défense de causes écologiques ou sociales ou ne s'est pas servi de son art pour attirer l'attention des médias sur ces enjeux. Son émission radiophonique « The Idea of North » [L'Idée du Nord] était une légende comme celle que l'on rapporte, par exemple, d'un voyage exotique. Si l'émission connaît du succès, c'est parce qu'il se consacre méticuleusement au montage selon la célèbre technique en contrepoint avec des voix (que d'ailleurs il n'était pas le premier à utiliser) plutôt qu'en raison de l'autorité du documentaire sur le sujet d'une véritable expérience nordique. Personnellement, je n'y vois aucune trace d'un véritable paysage sonore nordique qu'une symphonie de Sibelius et qu'un train ne peuvent remplacer, et ce fait illustre simplement que le réalisateur s'était réellement très peu éloigné de la civilisation.

Geoffrey Payzant, dans son ouvrage Glenn Gould, Music and Mind, présente l'argument selon lequel son sujet est vraiment un philosophe. Il possédait certainement une intelligence beaucoup plus entreprenante que la plupart de ses collègues du monde musical, car il a su produire certaines des interprétations à la fois les plus ravissantes et les plus étonnantes jamais enregistrées sur disque. Surtout, il était une personne dotée d'une curiosité immense à qui le piano ne suffisait pas. Vers la fin de sa vie, il a exprimé le désir d'écrire de la fiction et de réaliser des films. À l'instar de nombreuses personnalités canadiennes, il faisait partie de la tradition qui fait appel à l'adaptabilité et à l'ingéniosité plutôt qu'à une excellence professionnelle se limitant à un champ d'activité. Il a bien entendu atteint cet objectif, mais ses autres intérêts et réalisations ne devraient pas être négligés ou ne pas faire l'objet d'une critique lorsqu'il s'agit d'évaluer l'ensemble de sa carrière. Il était et demeure un personnage controversé. Seuls de tels artistes méritent d'être étudiés sur une base continue.

M. PACSU

Merci beaucoup, Murray. Laissons maintenant ces trois participants discuter entre eux pendant quelques minutes. Je ne sais pas qui aimerait prendre la parole en premier. Vous avez une liste de sujets qui couvre quatre pages ici.

M. SCHAFER

Parlez-nous de la vie sexuelle de M. Gould, John; vous le connaissiez si bien.

J. ROBERTS

Je ne peux vous parler de sa vie sexuelle parce que, entre autres, je ne fais pas partie du bon sexe pour ça. Mais je dois dire que cet après-midi, quand j'ai vu Murray, je lui ai dit : « Je parierais que ce que tu vas dire va être controversé. » Et il affichait une expression tout à fait innocente. Mais je crois que ce qu'il a dit est vraiment excellent et que cette soirée aurait été passablement ennuyante s'il n'avait pas fait ces remarques, partagé ses vues et ses perceptions qui proviennent de quelqu'un, comme il le dit lui-même, qui ne connaissait vraiment pas du tout Glenn.

Je suppose que la façon dont nous sommes perçus laisse présager ce que nous sommes, mais en vérité nous sommes ce que nous sommes. C'est peut-être un énoncé risqué. J'ai été aussi très fasciné d'entendre Murray parler de ses conclusions parce que, connaissant Glenn, elles ne me sont jamais venues à l'esprit. Il a touché un si grand nombre de sujets qu'il est très difficile de les discuter tous, du moins dans un espace de temps limité.

J'ai connu intimement la famille Gould. J'allais parfois y passer Noël et j'étais un invité habituel de la maison. La mère de Glenn était, bien sûr, une femme très forte et très intelligente qui possédait une ferme volonté et était aussi une excellente musicienne. Elle a, en fait, été le premier professeur de Glenn.

On peut aussi attribuer à madame Gould le penchant qu'avait Glenn à chanter pour accompagner ses interprétations. Ce n'est pas qu'il ait tenté de charmer le piano, mais cette habitude reflétait plutôt le fait que, dans son enfance, on lui avait enseigné à chanter tout ce qu'il jouait. Le problème, c'est qu'il n'a jamais pu se débarrasser de cette habitude dans sa vie adulte. Et je crois que de là provient cette habitude qu'il avait de chanter au piano. Mais il avait parfois une sorte de, comment pourrais-je dire, de relation épineuse avec sa mère. Il lui disait des choses où se décelaient des traits acérés. Ils n'étaient pas blessants, mais certains contenaient des rappels qui lui attireraient, il le savait, son courroux. C'était vraiment une forme de taquinerie. Je crois donc qu'on y lit des choses que, peut-être, on perçoit, mais qui demeurent quand même superficielles. De toute évidence, Glenn était très attaché à sa mère et il éprouvait un profond respect pour elle. Adulte, il avait quitté le foyer de ses parents et n'avait plus besoin de leur approbation.

En ce qui concerne le contact physique, il est vrai que Glenn avait une peur bleue d'attraper un rhume, qu'il était terrifié à la pensée d'être malade. Cette peur est probablement attribuable à son enfance, car je me souviens de l'avoir entendu dire que ses parents lui avaient déconseillé d'aller à l'Exposition de Toronto parce qu'ils croyaient qu'on pouvait attraper des virus dans de telles foules et qu'il serait probablement préférable de ne pas y aller. Il trouvait ça drôle à l'époque. Je crois que c'est probablement là que cela a commencé. Mais je ne suis pas sûr que tout le monde se rend compte que Glenn a réellement été blessé. Il s'est fait frapper à l'épaule par un technicien de Steinway à New York et il a eu une blessure à l'épaule et à la colonne vertébrale et dut abandonner ses activités durant un an. Il était au désespoir total durant ce temps, parce qu'il avait peur de ne plus pouvoir jamais jouer. Et il y a aussi des comptes rendus documentés au Canada au cours desquels il s'entretient de ce fait. À un certain moment, Glenn a recommencé à jouer, croyant qu'il était en train de récupérer et, étant donné que ce n'était pas le cas, il dut arrêter de nouveau. Je me souviens de cette période difficile de sa vie. Il était au désespoir total, car il croyait qu'il ne pourrait jamais plus jouer du piano de sa vie. Surtout après cet incident, il devint très méfiant à l'égard des contacts physiques.

J'ai trouvé les commentaires de Murray sur Gould et Baudelaire extrêmement fascinants et je suis particulièrement intéressé par le fait qu'il voit ce qu'il voit et qu'il se sente en mesure de tirer des conclusions. J'aurais simplement besoin d'en parler plus longuement avec Murray et de l'interroger plus rigoureusement sur les parallèles qu'il croit avoir trouvés. Certainement, en ce moment, ils m'échappent. Mais peut-être en ai-je dit assez long et je crois que mon collègue Vincent aimerait apporter des commentaires.

V. TOVELL

[…] J'ai parlé des trois qualités de Gould : l'engagement, la concentration et le courage. Puis-je en ajouter une quatrième? Glenn était extraordinairement prudent. Je ne crois pas que je n'aie jamais connu quelqu'un de plus prudent. Cette prudence pouvait même parfois être exagérée jusqu'à en arriver à l'anxiété et à la suspicion ou autre mot que l'on désire employer pour décrire la possibilité d'accident ou de ce qui pourrait se produire de négatif. Donc! On arrête de prendre l'avion.

J'ai fait moi-même une expérience incroyable de cette prudence. Au début des années soixante, j'ai eu l'occasion d'aller à Montréal pour quelques jours de travail et Glenn savait que je m'y rendrais et où je logerais. Vous vous rappellerez peut-être qu'au début des années soixante Air Canada a connu un écrasement terrible, juste à l'extérieur de Dorval. J'étais censé être à bord de cet avion. Glenn le savait. Toutefois, je restai pris dans la circulation du centre-ville et la brume épaisse et je n'ai pu me rendre à l'aéroport. Je suis retourné à l'hôtel où il savait que je logeais. La nouvelle de l'écrasement fut bientôt annoncée. Un accident mortel, … 100 sur 200, je ne sais combien de personnes. Cette nouvelle a été annoncée vers dix ou onze heures du soir. Mais pas de listes de passagers. Puis j'ai reçu un appel dans ma chambre d'hôtel à trois heures du matin (je m'étais à ce moment couché après avoir regardé à la télévision ce qu'il y avait à regarder) et c'était Glenn; il était furieux. Il s'agit bien du mot. Furieux. Glenn, selon mon expérience personnelle, a rarement fait preuve d'un sentiment que je pourrais qualifier de colère. Il était furieux contre moi parce qu'il m'avait bien averti de ne pas prendre l'avion. Il ne prenait plus l'avion à ce moment. Et il avait ses raisons. Maintenant, conduire en voiture avec Glenn était, croyez-moi, beaucoup plus terrifiant qu'aucun vol que j'ai effectué en avion, et je prends l'avion depuis l'âge de douze ans (il y a très longtemps, au milieu des années trente). Mais, d'une certaine façon, il ne m'a jamais pardonné. Je lui ai dit : bien, je suis ici. C'est arrivé. C'est une tragédie, mais, par miracle, j'ai manqué l'avion. Cet événement avait profondément marqué Glenn quelque part. Avec raison. Et à cette réaction s'ajoutait le fait que, par pur hasard, quelqu'un qui avait le même nom de famille que le mien – un parent lointain – se trouvait à bord de l'avion et le nom avait été annoncé, mais sans initiale, au cours des nouvelles à trois heures du matin. Cet incident m'est resté présent à l'esprit parce qu'il me montre un côté de Glenn que je ne peux pas oublier.

Si je peux me permettre d'autres commentaires personnels, juste un moment… Glenn était de dix ans mon cadet. J'étais sensible au fait que j'avais vécu de nombreuses expériences que Glenn n'avait pas connues. À un certain point, je me rendis compte du fait qu'il lui manquait un grand frère. Il lui manquait la présence de personnes qui avaient fait certaines expériences un peu avant lui et avec qui il pouvait partager ses propres craintes, ses propres expériences. Il partageait ses joies sans difficulté, même avec exubérance, comme John en témoignera, mais…

Ma mère mourut assez subitement et Glenn était bouleversé par cette mort, pour moi. Il ne l'avait jamais rencontrée, mais nous parlions d'elle ensemble et, en fait, il est dommage qu'ils ne se soient pas rencontrés parce qu'ils se seraient entendus à merveille. Et il le savait. Mais cela ne s'est pas produit. Je n'oublierai jamais sa sollicitude. C'était un peu comme s'il partageait une expérience familiale intime dont on l'avait auparavant privé. Cette expérience me révéla une facette de Glenn que je n'ai jamais oubliée : comment il pouvait être vulnérable face aux vicissitudes ordinaires de la vie. Combien il pouvait être craintif; combien il pouvait être profondément inquiet de ce qui se passait autour de lui au sujet des personnes qu'il connaissait et du monde dans lequel il vivait.

Les conversations téléphoniques de Glenn à trois heures (du matin) étaient une forme d'échanges exubérants. Mais je crois qu'elles étaient aussi une sorte de réconfort pour lui parce qu'il ne vivait pas détaché du monde. Il avait besoin de s'en détacher pour comprendre, pour voir et pour faire ce qu'il croyait qu'il devait faire. Mais il voulait aussi partager. Peut-être qu'au fur et à mesure qu'il avançait en âge cela devint-il difficile pour lui, car sa vie publique et sa carrière exigeaient de plus en plus de ses énergies et de son temps.

Je crois que tous ceux qui ont assisté au service commémoratif de Glenn – qui a été en grande partie organisé par John Roberts – n'oublieront jamais que la plupart des gens (environ trois mille personnes) réunis dans cette énorme église de Toronto n'avaient jamais rencontré Glenn. Pourtant, ils avaient partagé des sentiments communs avec Glenn. Le mystère de son pouvoir de communication est resté présent à mon esprit depuis notre première rencontre. Je n'ai tout simplement jamais rencontré personne qui avait cette capacité extraordinaire d'éveiller l'intérêt, la curiosité, de se faire participer à une argumentation, avec une préoccupation réelle et des passions sincères d'un genre ou d'un autre sur les questions abstraites de la vie.

Il est regrettable que je donne une tournure aussi solennelle à ce trait de personnalité parce que, si Glenn m'avait entendu parler, il aurait dit quelque chose de ridiculement drôle et aurait rapidement dissipé toute l'affaire. Glenn était profondément sérieux concernant un grand nombre de sujets; il souffrait. Néanmoins, il avait un sens irrévérencieux et tordant du ridicule. Nous n'avons pas vraiment parlé de cette qualité ce soir.

Mais quiconque le connaissait, je crois, pourrait confirmer ce fait. Rendez-vous à un studio de télévision avec Glenn et observez ses humeurs changeantes, le plaisir qu'il ressent à travailler avec les gens, le fait qu'il amène un chien errant dans la salle de contrôle parce qu'il l'avait trouvé dans la rue et lui avait donné un hamburger parce que le chien avait faim. Il l'avait amené pour tenir compagnie aux techniciens et cela lui avait semblé normal. On ne laisse pas un chien errant se promener n'importe où! Vous savez que les legs les plus importants de Glenn étaient à l'Armée du salut, pour ceux qui ont besoin d'aide, et à la Société pour la protection des animaux, pour ceux qui ont besoin d'aide.

M. PACSU

Pourrions-nous parler un peu d'un mot que vous avez tous mentionné, c'est-à-dire le besoin de maîtriser complètement les situations. Vous venez tout juste de mentionner exubérance et joie, et il s'agit là de qualités positives. Toutefois, cet homme était la seule personne qui m'ait été donné de rencontrer qui possédait une telle maîtrise de soi. Et quand cette maîtrise a commencé à lui échapper, à ce moment, il me semble, un petit garçon inquiet commença à apparaître.

Un exemple me vient à l'esprit – une situation curieuse en 1977. Nous faisons une entrevue de radio à la CBC, un sketch humoristique. Une fois de plus, c'était moi l'homme « sérieux ». C'était une entrevue en différé, et non en direct. Nous savions donc que vraiment rien ne pouvait mal aller parce que nous pouvions corriger les erreurs. Nous pouvions la refaire cent fois. Trente secondes avant que commence l'enregistrement du sketch, Glenn s'excuse et va à la toilette, revient et ses mains sont d'un rouge vif. Je lui demande : « Glenn, qu'as-tu fait à tes mains? » Et il répond : « Bien, mes mains étaient froides et je les ai mises sous l'eau chaude. » Je lui ai répondu : « Mais tu ne joues pas du piano. Nous enregistrons ici un sketch de radio, nous allons parler. ». Et il a dit : « Je suppose que c'est un peu étrange, n'est-ce pas? » Je ne fis aucun commentaire. Ce n'était pas le moment de dire : « Oui, en effet, c'est très étrange. » Mais il y avait eu un moment où il n'avait plus la maîtrise de la situation. Il y avait un technicien de l'autre côté de la régie et il ne pouvait pas entièrement diriger ma prestation. Et, soudainement, voilà une personne qui était temporairement très inquiète. Il avait dû sortir et mettre ses mains sous l'eau presque bouillante et je ne savais pas quoi penser au juste.

Ce besoin de tout maîtriser, il me semblait qu'il était toujours présent. Vous, messieurs, connaissiez Glenn beaucoup mieux que moi. Mais j'en ai certainement pris conscience en préparant l'album Silver Jubilee pour CBS. Nous avons lu et relu chaque phrase jusqu'à ce que tout soit finalement exactement comme il le voulait. Je crois qu'il essayait de contrôler le comportement des gens ne cessant jamais de parler. Pourtant, il y avait cette personne très chaleureuse et très spontanée qui essayait de se manifester au travers de tous ces mécanismes de contrôle.

Est-ce que quelqu'un aimerait ajouter quelque chose à ce point?

J. ROBERTS

Bien, il avait un problème de circulation sanguine, et je sais que cela semble excentrique, mais parfois c'est exactement ce qu'il faisait. Il disparaissait et revenait, et ses mains étaient rouges ou roses, et il était bien évident qu'il les avait fait tremper dans de l'eau chaude. Et, bien entendu, il est mort d'une attaque d'apoplexie; enfin, d'une série d'attaques. C'était une maladie qui était présente des deux côtés de sa famille et il le savait.

Mais, bien que je pense qu'il est très intéressant et fascinant d'étudier les à-côtés de la vie des gens et d'explorer leurs particularités de personnalité, ces faits ne sont vraiment que des à-côtés. Dans le cas de Glenn, je crois qu'il a réussi à atteindre un statut de très grande distinction en réalisant des projets importants qui étaient au cœur de sa vie. Il a réussi à faire plus de quatre-vingts enregistrements. En sa qualité de visionnaire, il a prédit un nouvel avenir pour la musique dans les médias électroniques et, pour essayer de répondre à Murray un peu mieux, je pense qu'il avait constaté, qu'il le veuille ou non, que les gens étaient de plus en plus absorbés par les médias électroniques. Ils regardent la télévision vingt-quatre heures par semaine. De plus, ils écoutent la radio vingt heures par semaine. Également, ils écoutent des enregistrements et regardent des vidéos. Bien que nous soyons consternés par ce fait, nous ne pouvons dénier que, selon les statistiques, la plus importante activité culturelle des Canadiens, leur activité la plus importante après le sommeil et le travail, est de regarder la télévision. En gardant ce fait à l'esprit, il n'est donc pas surprenant que Glenn en soit arrivé à la conclusion que la musique et les autres arts aussi perdaient ou étaient en voie de perdre contact avec les nouvelles générations de jeunes Canadiens et cela l'inquiétait beaucoup. Il semble évident que Glenn croyait qu'il était extrêmement important de trouver des façons et des moyens de présenter la musique dans les médias électroniques et toute sa vie était une exploration de cet aspect, celui d'essayer de trouver des moyens et des façons appropriés. Naturellement, certains projets ont eu un plus grand succès que d'autres, mais on peut difficilement nier le fait qu'il nous a laissé un héritage extraordinairement important issu de son utilisation de la technologie électronique.

Comme Vincent l'a déjà dit, je crois qu'il fallait vraiment être audacieux pour réaliser cet objectif.

L'exploration du répertoire du piano était toujours une préoccupation majeure, mais Glenn, ironiquement, était conservateur dans ses choix d'œuvres pour ses enregistrements. Nous constatons qu'il joue surtout Bach, mais aussi Beethoven et, comme Murray l'a suggéré, d'autres compositeurs moins connus comme Bizet, Sibelius et Grieg, en autres. Mais Glenn a osé regarder le répertoire standard et l'approcher d'une manière non conventionnelle, en fait, d'une nouvelle façon. Par exemple, Glenn disait que les professeurs de musique étaient toujours choqués par ce qu'il faisait à cause de sa technique et de sa manière d'interprétation qui leur semblait toujours incorrecte. Et il croyait que lorsqu'il jouait par exemple les Variations Goldberg comme interprète dans une salle, il était absolument nécessaire de l'adapter de façon à permettre une meilleure sonorisation. Cela signifiait que le tempo serait peut-être changé et d'autres éléments aussi, comme l'exécution des mouvements. Dans ses enregistrements, Glenn a essayé de donner à une variété d'œuvres un format qui les rendrait acceptables à bon nombre de personnes. Il n'avait pas du tout peur, par exemple, d'interpréter les préludes de Bach en si ou en mi mineur, que l'on considère souvent comme des nocturnes, dans un style radicalement différent. Et cela, bien sûr, scandalisait beaucoup de gens. Ses sonates de Mozart étaient aussi peu orthodoxes en ce qui a trait au tempo. Par exemple, Koechel 333. Il a souvent dit des choses peu charitables à l'endroit de Mozart, mais il est difficile de croire que quelqu'un qui joue de la musique si subliment et avec une telle conviction n'aime vraiment pas Mozart. Si vous passez en revue soigneusement certains des commentaires de Glenn, vous découvrirez qu'il avait certaines choses positives à dire sur Mozart. Glenn ne disait ni ne faisait pas toujours la même chose.

M. PACSU

Eh bien, Murray, c'est à votre tour.

Il est presque 21 h 30, alors peut-être devrions-nous terminer cette discussion, après que vous aurez dit votre dernier mot, Murray.

M. SCHAFER

Peut-être devrions-nous déjà la terminer.

M. PACSU

Je suis certain que des personnes dans la salle aimeraient poser des questions. Aviez-vous des remarques pertinentes?

M. SCHAFER

Non!

M. PACSU

Est-ce que quelqu'un a une question? Si vous avez des questions en français ou en anglais, on voudrait bien commencer, n'hésitez pas.

HOMME DANS LA SALLE

Étant garçon, je me rappelle mon professeur de musique me montrant avec fierté comment Glenn Gould chantait durant ses enregistrements. Je me demande, M. Tovell, si vous avez des anecdotes sur les mesures employées par les réalisateurs et les techniciens pour l'inciter à arrêter.

V. TOVELL

Bien, j'imaginerais que les personnes travaillant à CBS ont probablement un catalogue de ces trucs. Tout ce que je sais, c'est que Glenn, fréquemment, et à au moins une occasion en public que je connais (dans la série Telescope), a parlé du fait qu'il était très malheureux d'avoir cette habitude. Mais, comme John l'a déjà dit, il a grandi en chantant. Et, vous voyez, je crois – si je puis donner, à titre personnel, mon impression personnelle ; et je serais intéressé à connaître les pensées de Murray sur ce sujet, parce que je crois que ses pensées à cet égard méritent beaucoup plus d'exploration que nous soyons en mesure de le faire ce soir. – je crois que, au fond, Glenn était un chanteur qui jouait d'un instrument à clavier et qu'il était un chanteur atrocement médiocre, comme tant d'autres musiciens. Il était vraiment terrible!

C'était comme écouter Toscanini chanter lorsqu'il dirigeait! Je veux dire, est-ce que ces sons proviennent d'une autre pièce? Qu'est-ce que cela a à voir avec ce que les musiciens jouent? Mais je crois que Glenn était, au fond, dans sa nature sensuelle, si on peut parler ainsi, un chanteur, et qu'il ne pouvait cesser de chanter. John a expliqué que cela est en partie attribuable à la façon dont sa mère l'a élevé. Elle lui a enseigné les premières années. Je crois que cela est vrai en partie. Mais je crois qu'il y avait quelque chose dans sa nature, et le son de la voix humaine, cet instrument fondamental, avait une importance énorme pour Glenn.

Je crois que Glenn était une personne verbale, et non une personne visuelle. Il est curieux que, s'il n'était pas daltonien (et je ne suggère pas qu'il l'était), la couleur ne jouait certes pas un rôle de premier plan dans sa vie sensorielle. En fait, il préférait les gris comme nous le savons tous, les gris et les bleus, ce qui est acceptable. Il n'a rien que l'on puisse reprocher à ces choix. Mais, le fait demeure qu'il n'aimait pas les couleurs vives. Il a répété ce fait maintes fois. Mais il chantait, même s'il n'aimait pas l'opéra italien. Il aimait toutefois l'opéra allemand. Et Murray, je ne sais pas si vous avez déjà entendu Glenn chanter Richard Strauss, faire une interprétation complète d'Elektra du commencement à la fin! Quelle expérience extraordinaire! Et Glenn n'improvisait pas, mais il chantait toutes les partitions! C'était, je crois, quelque chose de fondamental dans sa nature. Et peut-être c'est cette qualité, exprimée au moyen de son instrument, qui parle plus fort que toutes les autres qualités. Je considère Glenn comme le pianiste chantant. Je ne veux pas dire chantant avec sa voix. Il y a quelque chose qui se produit. On entend un esprit qui y filtre; il en est issu, quelque chose qui provient du plus profond de lui et qui n'est pas seulement produit par ses doigts. Il s'agit de quelque chose dans sa nature. C'est ma propre façon entièrement non musicale de considérer cette question. Mais je ne crois pas avoir vraiment répondu à votre question.

M. PACSU

Murray, est-ce que vous aviez des commentaires?

M. SCHAFER

J'aimerais seulement ajouter que les vibrations de la musique sont plus intimes dans la gorge avant de prendre tout autre forme. Et quand j'ai parlé de la sensibilité tactile de Glenn, je voulais dire que la sensation tactile est quelque chose que l'on a d'abord en tant que musicien et ensuite de nouveau lorsqu'on joue d'un instrument. Et je répéterai l'énoncé de Pierre Schaeffer : « On écoute avec les mains. » Il voulait dire que, à moins que l'on ne puisse sentir le son, on ne peut pas le comprendre. On ne peut comprendre la musique à moins de faire de la musique, à moins de la jouer, à moins de tenir, d'une manière ou d'une autre, la musique dans ses doigts ou dans sa gorge. Et peut-être que la raison pour laquelle nous écoutons aujourd'hui de la musique ennuyante du genre MUZAK, de la musique qui n'a absolument aucune force, aucune couleur, absolument aucune vivacité, est que les gens ont eux-mêmes arrêté de faire de la musique. Eh oui, je crois que Gould était une personne qui avait un sens de la musique très personnel. Après tout, il était soliste.

Je crois qu'il y a une autre chose que nous devrions nous rappeler à son sujet. On ne l'a pas mentionné, mais il n'était pas un musicien qui faisait de la musique avec d'autres personnes. Il faisait de la musique par lui-même. Il ne collaborait pas très bien avec les autres personnes. Cela est bien connu. Je n'essaie pas de le critiquer à cet égard. Je crois que c'était très personnel, le genre de musique qu'il faisait. Il n'était pas connu pour son répertoire de musique de chambre. Il avait horreur des concertos. Il n'aimait pas jouer avec des orchestres. Il se chamaillait avec les chefs d'orchestre, surtout, on peut présumer, pour savoir qui allait avoir le dernier mot concernant ses interprétations. Parce que c'est le genre de situation qui se produit lorsque deux musiciens puissants se disputent la suprématie sur le podium. Qui aura raison, le soliste ou le chef d'orchestre? Il était sans l'ombre d'un doute un soliste et un égocentriste.

M. PACSU

Je crois que nous avons une autre question, Murray, par ici, si vous me le permettez.

QUESTION

Je me demande si quelqu'un parmi vous peut m'aider. Soit vous Vincent, ou vous Murray. Il y a environ vingt-cinq ans, j'ai eu une conversation fascinante avec Glenn Gould au sujet du développement des auditoires, qui, en rétrospective, peut sembler un peu étrange, car il avait abandonné ses auditoires et ne voulait plus donner de représentations. Il savait que j'avais travaillé pour populariser la musique auprès des jeunes gens et pour rassembler la musique et les enfants. Et, pendant une demi-heure, il exposa comment il était essentiel de développer des auditoires. Cela a dû se produire juste à la suite de sa décision de ne plus donner de concerts publics. Malheureusement, je n'ai pas pris de notes à l'époque, mais j'aimerais savoir si je peux me renseigner quelque part, dans un article qu'il a écrit, ou autre écrit, s'il a vraiment couché ses pensées sur papier, parce que je suis vraiment désolé que je ne puisse pas, enfin que je puisse me rappeler seulement dans des termes très vagues de ce que nous avons discuté. C'était évidemment très enrichissant; c'était, bien entendu, pour quelqu'un qui à cette époque avait subitement cessé de jouer en public, plutôt fascinant. Pouvez-vous m'aider?

J. ROBERTS

Je crois que Glenn sentait que, en raison de ce que ce qui s'était produit en matière de développements technologiques, l'explosion de l'utilisation des enregistrements qui semblait vouloir continuer dans l'avenir, la façon de développer des auditoires était d'essayer de les atteindre par les médias électroniques. Murray sera très choqué de savoir que, s'il ne le savait pas déjà (peut-être que cela se trouve déjà dans un de ses articles) que Glenn pensait secrètement que, si l'on pouvait envahir MUZAK, peut-être MUZAK pourrait devenir assez utile. MUZAK, bien sûr, regorge de clichés et il pensait que, si l'on pouvait subtilement se débarrasser des clichés et les remplacer par d'autres choses, cela serait une façon merveilleuse de sensibiliser les oreilles et les esprits des gens et d'éviter la paresse intellectuelle inhérente à l'écoute de MUZAK dans sa forme stéréotypée.

V. TOVELL

Il y a un sérieux examen à entreprendre avant longtemps des liens qui relient les œuvres de Murray Schafer, de Harry Somers, de Glenn Gould, de Marshall McLuhan, de Northrop Frye, de Harold Innis… on pourrait continuer et dresser une liste. Et on pourrait inclure certaines personnalités de Montréal (j'ai mentionné des personnalités de Toronto) et d'autres régions du pays; l'Ouest et les Prairies ont exprimé à leur propre façon des questions qui me semblent très pertinentes à notre époque actuelle au Canada.

FIN DE SOIRÉE

Source : Bibliothèque et Archives Canada
© Margaret G. Pacsu, John Roberts, Murray R. Schafer et Vincent Tovell. Reproduction autorisée par Margaret G. Pacsu, John Roberts, Murray R. Schafer, Vincent Tovell, la succession de Glenn Gould et Glenn Gould Limited.
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